épisode 4
Les nouveaux vêtements étaient arrivés. Les sur-pantalons rendaient l’été encore plus étouffant. Les gilets fluorescents s’accrochaient et se déchiraient à chaque objet dépassant d’un rack. Avec ces nouveaux habits, la blanchisserie était également apparue. Une fois par semaine, quelqu’un venait chercher le linge sale et ramenait le propre, sauf les fluos qui n’étaient pas lavables et qui restaient sales et déchirés. Au début, tout le monde a joué le jeu, remisant au sale les polaires et les sur-pantalons. La première tournée de linge propre a été catastrophique. Tout est revenu fripé, rétréci, voire brulé pour certains. Assez rapidement, mes collègues ont repris l’habitude de ramener le linge sale à la maison, comme avant … Lorsqu’ils touchaient la prime de blanchisserie.
Dans notre petit dépôt, on ne comprenait pas très bien pourquoi nous devions porter le fluo toute la journée, sachant que le chariot élévateur ne devait fonctionner qu’environ quinze minutes par jour. Notre chef nous répondit : « Tous les dépôts doivent travailler de la même façon partout en France ». Un collègue argumenta que dans de nombreux dépôts, chaque vendeur service avait une tache bien assignée, et qu’il ne faisait que ça. Ce en quoi je me précipitai de dire : « j’aimerais bien être le préposé aux déchargements ! » Mon chef me jeta un regard noir en ajoutant : « Pour nous ce n’est pas pareil… ». Je ne comprenais plus. Tous les magasins devaient faire pareil, sans exception…sauf nous. J’ai appris par la suite que tous les magasins fonctionnaient en effet de la même façon, mais qu’ils étaient tous « exceptionnels ».
Pour veiller à cette magnifique unité, nous avions régulièrement des audits. Une semaine avant la date prévue, nous constations une certaine effervescence dans les bureaux. Cela se traduisait par une mauvaise humeur notoire de nos supérieurs. Nous travaillions d’arrache pied pour être irréprochables le jour J. Un VIP arrivait un beau matin. Le chef restait enfermé avec lui une grande partie de la journée. J’aimais bien les audits, car pendant ce temps, le chef était aimable et souriant avec nous. Le midi, les supérieurs allaient déjeuner au restaurant (pour nos réunions, on se contentait d’un casse-croute sur le bord du comptoir des enlèvements). Une fois l’exercice terminé et le haut dignitaire parti, nous reprenions nos bonnes vieilles habitudes. Mon chef m’a confié une fois : « Quand ils (les auditeurs) sont là, je fais et je dis ce qu’ils ont envie de voir et d’entendre. Quand ils sont partis je fais comme j’ai l’habitude de faire ». Quelle rébellion ! J’étais admiratif.
Peu à peu, notre chef ne sortait plus de son bureau. Il établissait des graphiques et des courbes toute la journée. C’était sensé représenter notre productivité. Il fallait impérativement que ces graphiques laissent apparaitre du temps libre chez les vendeurs service. C’était fortement, et verbalement, recommandé par le responsable en chef des graphiques. Pour justifier que nous n’avions pas besoin de personnel supplémentaire. Je commençais à la trouver mauvaise…
C’était sans compter sur la nouvelle consigne. Nous devions à présent arriver en avance le matin pour prendre connaissance de nos objectifs journaliers. Le soir, il fallait, après la fermeture, faire un « débriefing » de la journée, pour dire si nous avions rempli lesdits objectifs. Chaque jour, chacun de nous offrait ainsi plus de trente minutes à notre chère société. En temps cumulé, six heures par mois. Puisque Distrilap souhaitait tout quantifier, je proposais l’installation d’une pointeuse. Mon chef tua le débat : « ça n’intéresse pas la société »…